Niveau 1 – Introduction à l’équilibrage

L’article original « Level 1: Intro to Game Balance » a été écrit par Ian Schreiber et fait partie d’un cours de game design en ligne, publié sur le blog Game Balance Concepts.

L’article original et cette traduction sont publiés sous licence Creative Commons (Attribution).

N’hésitez pas à visiter le blog de Ian Schreiber et suivre son compte Twitter.

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Lectures / Jeux

Si vous ne l’avez pas déjà fait, vous devriez d’abord regarder la vidéo d’introduction de ce cours, avant de commencer la lecture [le lien est perdu]. Vous aurez aussi besoin de créer un compte sur ce site, mais l’enregistrement pour la vidéo d’introduction est libre.

Le sujet de cette semaine

Cette semaine démarrera probablement un peu lentement pour ceux d’entre vous qui sont des concepteurs de jeu expérimentés (ou pour ceux qui espèrent plonger dans les détails). À la place, je souhaite utiliser cette semaine principalement pour mettre tout le monde dans l’état d’esprit d’un concepteur de jeu à qui l’on soumet une tâche d’équilibrage, et je veux exposer plusieurs termes élémentaires de vocabulaire afin que nous puissions communiquer correctement sur l’équilibre des jeux.

Vous pouvez imaginer ce week-end comme un niveau didacticiel. La difficulté et le rythme de ce cours augmentera les prochaines semaines.

Qu’est-ce que l’équilibrage ?

Je voudrais commencer en posant la question « qu’est-ce que l’équilibrage d’un jeu ? » mais j’y ai déjà répondu dans la vidéo d’introduction. Alors, peut-être sous une forme plus simple, nous pouvons dire que l’équilibrage d’un jeu consiste principalement à établir quels sont les nombres à utiliser dans un jeu.

Cela soulève immédiatement la question : et si un jeu n’implique aucun nombre ou calcul ? Le jeu d’extérieur Chat n’a pas de nombres par exemple. Est-ce que cela signifie que le concept « d’équilibrage du jeu » n’a pas de sens quand il est appliqué à Chat ?

La réponse est que le jeu Chat possède en fait des nombres : à quelle vitesse et combien de temps chaque joueur peut courir, à quelle distance sont les joueurs les uns des autres, quelles sont les dimensions du terrain de jeu, combien de temps un joueur est le chat. Nous n’avons pas réellement besoin de tracer ces statistiques car Chat n’est pas un sport professionnel… mais si c’était un sport professionnel, vous pouvez croire qu’il y aurait des cartes à collectionner et des sites web avec toute sorte de nombres exposés !

Ainsi, chaque jeu possède en fait des nombres (même s’ils sont cachés ou implicites) et le propos de ces nombres est de décrire l’état du jeu.

Comment dire si un jeu est équilibré ?

Savoir si un jeu est équilibré n’est jamais trivial. Les Echecs, par exemple, ne sont pas entièrement équilibrés : il a été observé qu’il y a un léger avantage à jouer en premier. Toutefois, il n’a pas été définitivement prouvé si ce déséquilibre est mécanique (de fait, qu’il y a ait un réel avantage tactique ou stratégique au premier coup) ou psychologique (les joueurs partent du principe qu’il y a un avantage pour le premier coup alors ils se mettent en tête de jouer moins bien s’ils jouent en second). De façon intéressante, l’avantage du premier coup disparaît aux niveaux de compétences les plus bas ; il est uniquement observé lors des tournois de championnats. Gardez à l’esprit que c’est un jeu qui a été joué, sous une forme ou une autre, pendant des milliers d’années. Et nous ne savons toujours pas exactement à quel point il est déséquilibré !

Dans le cas des Echecs, un plus grand degré de compétence chez le joueur rend le jeu déséquilibré. Dans certains cas, cela fonctionne aussi dans le sens inverse, où les joueurs compétents peuvent corriger un déséquilibre inhérent à travers une manière de joueur plus intelligente. Par exemple, dans Les Colons de Catane, la plupart du jeu tourne autour de l’échange des ressources avec les autres joueurs. Si un simple joueur a un petit avantage de jouabilité dû à une position de départ améliorée, les autres joueurs peuvent simplement se mettre d’accord pour ne pas faire d’échanges avec ce joueur pour un temps (ou seulement proposer des échanges injustes aux dépens de ce joueur) jusqu’à ce qu’après un moment les différences entre les positions de départ s’égalisent. Ceci n’apparaîtrait pas dans les parties occasionnelles, car les joueurs ne sont pas capables de reconnaître un petit avantage de début de partie ; au niveau d’un tournoi, cependant, les joueurs seraient plus à même d’identifier un déséquilibre dans le jeu et agir en conséquence.

Pour faire court, l’équilibrage d’un jeu n’est pas une tâche évidente ou facile. (Mais vous avez probablement déjà compris cela, étant donné que je vais discuter du sujet pendant 10 semaines consécutives).

Vers un vocabulaire critique

[…] Nous avons besoin de définir quelques termes clefs que nous utiliserons lorsque nous parlerons des différents types d’équilibrage.

Déterminisme

Pour notre propos, je définis un jeu « déterministe » comme un jeu où si vous partez avec un état de jeu donné et réalisez une action particulière, elle produira toujours le même état de jeu résultant.

Les Echecs, le Go et les Dames sont tous déterministes. Vous n’avez jamais une situation où vous bougez une pièce, mais à cause d’un tirage de dé de combat inattendu, votre pièce se perd le long du chemin, ou autre (à moins que vous jouiez à une variante non déterministe).

Les jeux Candyland et Echelles & Serpents ne sont pas déterministes. Chacun a un mécanisme aléatoire pour faire avancer les joueurs, et ainsi vous ne savez pas jusqu’où vous irez au prochain tour.

Le Poker n’est pas déterministe, non plus. Vous pouvez jouer plusieurs mains où il apparaît que vous avez le même état de jeu (votre main et toutes les cartes face visible sur la table sont les mêmes), mais les résultats actuels de la main peuvent être différents car vous ne savez jamais quelles sont les cartes de l’adversaire.

Le jeu Pierre-Ciseau-Papier n’est pas déterministe, dans le sens où n’importe quel choix (comme Pierre) sera parfois gagnant, parfois perdant, et parfois neutre, selon ce que fait l’adversaire.

Notez qu’il y a des éléments déterministes dans tous ces jeux. Par exemple, une fois que vous avez lancé votre dé dans Echelles et Serpent, appelé votre main au Poker ou choisi votre coup à Pierre-Ciseau-Papier, résoudre le tour est fait par les règles (déterministes) du jeu. Si vous choisissez Pierre et votre adversaire Papier, les résultats sont toujours les mêmes.

Non-déterminisme

L’opposé d’un jeu déterministe est un jeu non-déterministe. La façon la plus simple d’illustrer la différence est de comparer le jeu d’arcade classique Pac Man avec sa séquelle Miss Pac Man.

Le jeu Pac Man original est entièrement déterministe. Les fantômes suivent une IA qui est entièrement dépendante de l’état actuel du jeu. En conséquence, suivre une séquence pré-déterminée d’entrées sur le contrôleur dans un niveau donné produira toujours le même résultat, à chaque fois. À cause de cette propriété déterministe, certains joueurs sont capables d’identifier un motif de mouvements ; le jeu passe de chassé à chasseur pour celui qui peut mémoriser les motifs d’exécution.

Cela a fini par devenir un problème : les jeux d’arcade exigeaient que les joueurs jouent pour trois minutes ou moins, en moyenne, de façon à rester profitables. Les joueurs qui utilisaient le motif pouvaient jouer pendant des heures. Dans Ms Pac-Man, un élément de non-déterminisme a été ajouté : parfois les fantômes pouvaient choisir leur direction aléatoirement. En conséquence, Ms Pac Man a basculé le focus de la jouabilité de l’exécution de motif à la réflexion rapide et la réaction, et (au moins au niveau des championnats) les deux jeux étaient très différents.

Maintenant, ce n’est pas pour dire qu’un jeu non déterministe est toujours « meilleur ». Souvenez-vous, les Echecs et le Go sont des jeux déterministes qui ont été joués pendant des siècles ; en tant que concepteur de jeu aujourd’hui, nous pouvons nous estimer chanceux si nos jeux sont joués pendant deux ou trois ans à partir de la date de sortie. Alors mon argument n’est pas qu’une méthode soit supérieure à une autre, mais plutôt qu’analyser l’équilibre des jeux est fait différemment pour les jeux déterministes et pour les jeux non-déterministes.

Les jeux déterministes peuvent théoriquement être soumis à une sorte d’analyse par force brute, où vous regardez tous les coups possibles pour déterminer le meilleur. Le nombre de coups à considérer peut être si important (comme dans le jeu de Go) qu’une solution par force brute est impossible, mais dans au moins quelques cas (typiquement les positions de début et fin de partie) vous pouvez faire un peu de calcul pour trouver les coups optimaux.

Les jeux non-déterministes ne fonctionnent pas comme cela. Il exigent d’utiliser les probabilités pour trouver les chances de réussite de chaque coup, avec la compréhension que n’importe quel déroulement de partie puisse donner un résultat complètement différent.

Solvabilité

Ceci conduit à la discussion de savoir si oui ou non un jeu est solvable. Quand nous disons qu’un jeu est solvable, en général, cela signifie que le jeu possède un meilleur coup unique qui peut être connu, à faire à n’importe quel moment de la partie, et il est possible pour les joueurs de savoir de quel coup il s’agit. En général, nous estimons que la solvabilité est un trait indésirable dans un jeu. Si le joueur connaît le meilleur coup, il ne prend pas de décision intéressante ; chaque décision est évidente.

Cela dit, il existe plusieurs types de solvabilité, et certains types ne sont pas aussi mauvais que les autres.

Solvabilité triviale

Normalement, lorsque nous disons qu’un jeu est solvable de la mauvaise manière, nous voulons dire qu’il est solvable de façon triviale : c’est un jeu que l’esprit humain peut complètement résoudre en temps réel. Le Morpion est un exemple commun ; les jeunes enfants qui n’ont pas encore résolu le jeu peuvent le trouver indéfiniment fascinant, mais à un certain point ils découvrent toutes les permutations, résolvent le jeu et ne le trouvent plus intéressant.

Nous pouvons continuer à parler de l’équilibre des jeux solvables de manière triviale. Par exemple, en considérant un jeu optimal des deux côtés, nous savons que le Morpion fini par une égalité, alors nous pouvons dire en ce sens que le jeu est équilibré.

Toutefois, nous pouvons aussi dire que si vous regardez tous les jeux possibles du Morpion qui peuvent être joués, vous trouverez qu’il existe plus de façons pour X que pour O de gagner, alors vous pouvez dire qu’il est déséquilibré parce qu’il y a l’avantage du premier joueur (bien que cet avantage puisse être nié à travers un jeu optimal par les deux joueurs). Ce sont les types de considérations d’équilibrage pour un jeu solvable trivialement.

Solvabilité complète théorique

Il y a des jeux comme les Echecs et le Go qui sont théoriquement solvables, mais en réalité il y a tellement de permutations que l’esprit humain (et même les ordinateurs) ne peuvent résoudre le jeu entier de façon réaliste. Nous avons ici un cas où les jeux sont solvables, mais restent intéressants, car leur complexité est au-delà de notre capacité à les résoudre.

Il est difficile de dire si des jeux comme ça sont équilibrés, car nous ne connaissons pas la solution et n’avons pas les moyens actuels de les résoudre. Nous devons nous appuyer sur notre intuition de concepteur de jeu, les opinions (parfois conflictuelles) des joueurs experts, ou les statistiques de tournois prises sur plusieurs jeux de niveau championnat, pour presque avoir une estimation de si un jeu est équilibré ou pas. (Une autre façon peu pratique d’équilibrer ces jeux est de s’asseoir et attendre que les ordinateurs deviennent assez puissants pour les résoudre de notre vivant, en sachant que cela pourrait ne jamais arriver).

Résoudre les jeux non-déterministes

Vous pourriez penser que seuls les jeux déterministes peuvent être résolus. Après tout, les jeux non-déterministes ont des éléments aléatoires ou inconnus, alors le jeu « optimal » ne garantit jamais une victoire (ou même une égalité). Toutefois, je dirai que les jeux non-déterministes peuvent être résolus, c’est juste que la « solution » se présente de façon différente : une solution dans ce cas est une série d’actions qui maximise votre probabilité de victoire.

Le jeu de Poker fournit un exemple intéressant. Vous avez une partie de l’information sur ce qui est dans votre main, et ce qui est montré sur la table. À partir de cette information, il est possible de calculer les chances exactes de victoire pour votre main, et en fait, les joueurs de championnat sont capables de faire cela en temps-réel. À cause de cela, tous les paris que vous faites sont optimaux, ou ils ne le sont pas. Par exemple, si vous calculez que vous avez 1 chance sur 2 de gagner avec votre main un pot de 300 $, et on vous demande de payer 10 $ pour rester dans la partie, c’est clairement un coup optimal pour vous ; si vous perdez 10 $ la moitié du temps et gagnez 300 $ l’autre moitié du temps, vous serez au final gagnant, la « solution » étant de faire le pari.

Vous pouvez vous demander, si le Poker est solvable, qu’est-ce qui l’empêche de devenir un exercice ennuyeux de joueurs qui calculent les chances avec une calculatrice et ensuite misent ou pas en fonction des résultats ? Du point de vue de l’équilibrage du jeu, une telle situation est dangereuse : non seulement les joueurs connaissent quel est le meilleur coup (ce sont des décisions évidentes), mais parfois le jeu optimal peut se terminer par une perte, ce qui effectivement punit un joueur pour ses grandes compétences de calcul des chances ! Dans les jeux comme cela, vous avez besoin d’une sorte de mécanisme pour contourner le problème de la solvabilité-qui-conduit-à-la-frustration-des-joueurs.

La façon dont le Poker le fait, et la raison pour laquelle il est aussi intéressant, est que les joueurs peuvent choisir de jouer de façon sous-optimale de manière à bluffer. Le comportement de votre adversaire peut influencer vos décisions : si la personne qui est assise en face de vous parie de manière agressive, c’est parce qu’elle a une main forte et sait quelque chose que vous ne savez pas ? Ou bien est-elle simplement mauvaise en math ? Ou est-elle bon en math, et mise haut avec une main qui ne peut pas réellement gagner mais elle essaie de vous amener à penser que sa main est meilleur qu’elle ne l’est réellement ? Ce facteur humain n’est pas solvable, les aspects solvables du jeu sont utilisés pour informer les joueurs, et c’est pourquoi aux plus hauts niveaux le Poker est un jeu de psychologie et non de mathématique. Ce sont ces éléments psychologiques qui évitent que le Poker devienne un pur jeu de chance joué par des individus très compétents.

Résoudre les jeux intransitifs

Les jeux intransitifs sont une façon précieuse de dire « des jeux comme Pierre-Ciseau-Papier ». Comme l’issue dépend du choix simultané entre vous et votre adversaire, il ne paraît pas y avoir de coup optimal, et ainsi il n’y a aucun moyen de le résoudre. Mais en fait, le jeu est solvable… C’est juste que la solution se présente différemment des autres jeux.

La solution de Pierre-Ciseau-Papier est un ratio 1:1:1, ce qui signifie que vous devriez choisir autant de fois les uns que les autres. Si vous choisissez plus d’un type que les autres (par exemple, vous favorisez Papier), votre adversaire peut choisir le Ciseau qui bat votre coup préféré plus souvent, ce qui lui permet de gagner un peu plus que d’habitude. Alors en général, la « solution » à PCP est de choisir chaque type avec une fréquence égale sur le long terme.

Supposons que nous faisions un changement dans les règles : chaque victoire avec Pierre compte comme 2 au lieu de 1. Alors nous aurions une solution différente où les ratios ne seraient pas égaux. Il y a des moyens mathématiques de découvrir exactement quel serait ce nouveau ratio, et nous en parlerons plus tard dans ce cours. Vous pourriez trouver cela utile, par exemple, si vous faites un jeu de stratégie temps-réel avec certaines unités qui sont fortes contre un autre type d’unités (de manière intransitive), mais vous voudriez que certaines unités soient plus rares et spéciales dans la jouabilité que d’autres. Alors vous pourriez changer les capacités relatives pour rendre certaines unités plus efficaces en terme de coût et plus puissantes dans l’ensemble, ce qui en retour changerait la fréquence relative de chaque unité qui apparaît (dans le cas d’un jeu optimal).

Information parfaite

Un concept lié à la solvabilité est celui de l’information disponible. Dans un jeu avec de l’information parfaite ou complète tous les joueurs connaissent tous les éléments de l’état du jeu à n’importe quel moment. Les Echecs et le Go sont des exemples évidents.

Vous pourriez être capable de voir, alors, que n’importe quel jeu déterministe avec de l’information parfaite est au moins théoriquement complètement solvable.

D’autres jeux ont des degrés variables d’information incomplète, ce qui signifie que chaque joueur ne connaît pas l’intégralité de l’état du jeu. Les jeux de cartes comme Hearts ou le Poker fonctionnent de cette façon ; dans ces jeux, chaque joueur a une information privilégiée où ils savent certaines choses que les adversaires ne savent pas, et en fait une partie du jeu est d’essayer de découvrir l’information que les autres joueurs connaissent. Avec Hearts en particulier, la somme des informations des joueurs est l’état complet du jeu ; si les joueurs combinent leur information, le jeu serait alors à information parfaite.

Ainsi d’autres jeux ont de l’information qui est cachée de tous les joueurs. Un exemple de ceci est le jeu de cartes Rami. Dans ce jeu, tous les joueurs savent ce qu’il y a dans la pile de défausse (information commune), chaque joueur sait ce qu’il a dans sa main mais pas celle de des autres (information privilégiée), et aucun joueur ne connaît les cartes qui restent dans la pioche et dans quel ordre ces cartes sont placées (information cachée).

Le jeux de cartes à collectionner comme Magic The Gathering offrent des couches supplémentaires d’information privilégiée, car les joueurs ont un peu d’information privilégiée sur l’espace des possibles du jeu. En particulier, chaque joueur connaît le contenu des cartes de son propre paquet, mais pas celui de son adversaire, et ce bien qu’aucun des joueurs ne connaissent l’ordre exact des cartes dans sa propre pioche. Encore plus intéressant, il y a certaines cartes qui peuvent vous donner un peu d’information limitée sur tous ces éléments (comme des cartes qui vous laissent regarder la main de votre adversaire ou votre pioche), et une partie du défi de la construction de paquet est de décider à quel point il est important d’avoir de l’information contre le fait de pouvoir attaquer ou défendre.

Symétrie

Un autre concept qui impacte l’équilibrage d’un jeu est si un jeu est symétrique ou asymétrique. Les jeux symétriques sont ceux dans lesquels tous les joueurs ont exactement la même position de départ et les mêmes règles. Les Echecs sont presque symétriques, à l’exception de ce petit détail sur qui débute la partie.

Pourriez-vous rendre les Echecs symétriques avec un changement des règles ? Oui : par exemple, si les deux joueurs écrivent leur coup simultanément, et ensuite révèlent et résolvent leur coup en même temps, le jeu serait complètement symétrique (et en fait, il y a des variantes qui suivent ces règles). Notez que dans ce cas, la symétrie exige une complexité supplémentaire ; vous avez besoin de règles additionnelles pour gérer les cas où deux pièces se déplacent ou passent à travers la même case, ou quand une pièce entre dans une case au moment où une autre pièce quitte la case.

En fait, vous pourriez dire que les jeux parfaitement symétriques sont automatiquement équilibrés. Au moins, vous savez qu’aucun joueur n’a d’avantages ou désavantages au début, car ils ont exactement les mêmes positions de départ. Toutefois, la symétrie seule ne garantie pas que les pièces du jeu ou les stratégies à l’intérieur du jeu soient équilibrées ; il pourrait rester des pièces qui sont plus puissantes que les autres, ou certaines stratégies qui sont clairement optimales, et la symétrie ne change pas cela. La symétrie parfaite est ainsi une « façon facile » pour les concepteurs d’équilibrer un jeu.

Le métagame

Le terme métagame signifie littéralement « le jeu qui entoure le jeu » et en général se réfère aux choses que les joueurs font lorsqu’ils ne sont pas en train de jouer au jeu, mais leurs actions affectent leurs chances de remporter la prochaine partie. Les jeux de cartes à collectionner comme Magic The Gathering sont un exemple clair de cela : entre les parties, les joueurs construisent un paquet, et le contenu de ce paquet affecte leur capacité à gagner. Un autre exemple selon le Poker de niveau championnat ou même les tournois internationaux de Pierre-Ciseau-Papier, les joueurs analysent les comportements communs et les stratégies de leurs adversaires. Les sports professionnels ont toutes sortes de choses qui se déroulent entre les parties : le repérage de talent, la sélection de joueurs, les échanges, l’entraînement et ainsi de suite.

Pour les jeux qui possèdent un fort métagame, l’équilibre du métagame est une considération importante. Même si le jeu lui-même est équilibré, un déséquilibre dans le métagame peut détruire l’équilibre du jeu. Les sports professionnels en sont un bel exemple. Il y a une boucle de rétroaction positive qui est inhérente dans tous les sports professionnels : les équipes qui gagnent le plus de parties augmentent leurs chances de gagner encore plus de parties . (Toutes mes excuses pour quiconque habite à New York, c’est la raison pour laquelle tout le monde déteste les Yankees).

D’autre sports ont des mécanismes de métagame en place pour contrôler le renforcement positif. Le football américain inclus les suivantes :

  • Sélection (draft) : Lorsque plusieurs joueurs quittent leur équipe pour être choisis par d’autres équipes, l’équipe la plus faible choisit en premier. Ainsi, l’équipe la plus faible recrute les joueurs les plus forts chaque année.
  • Limite de salaire : S’il y a une limite au maximum qu’un joueur peut gagner, cela évite qu’une seule équipe soit capable de dépenser des sommes considérables. Même les équipes faibles sont capables d’égaler le salaire maximal pour une partie de leurs joueurs.
  • Limite de joueurs : Il y a un nombre fini des joueurs autorisés dans chaque équipe ; une bonne équipe ne peut simplement pas avoir une réserve infinie de talents.

Ces mécanismes de métagame ne sont pas arbitraires ou accidentels. Ils ont été mis en place pour une raison, par des gens qui s’y connaissent en équilibrage de jeu, et c’est en partie la raison pourquoi n’importe quel dimanche, l’équipe la plus faible dans la NFL peut être capable de battre l’équipe la plus forte.

Pour cela, vous devriez penser que régler le métagame est une bonne façon d’équilibre un jeu. Les jeux de carte à collectionner offrent deux exemples en quoi cette tactique échoue.

Premièrement, revenons aux premiers temps de Magic The Gathering. Certains cartes sont plus rares que les autres. Ainsi, certaines cartes rares sont devenues vraiment plus fortes que leurs contreparties communes. Richard Garfield pensait clairement que la rareté elle-même était un moyen d’équilibrer le jeu. (Pour sa défense, ce n’était pas une supposition déraisonnable à l’époque. Il n’avait aucun moyen de savoir que certaines personnes auraient dépensé des milliers de dollars pour des cartes, simplement pour avoir une série de rares, pas plus qu’il ne savait que certaines personnes auraient largement ignoré les règles de « mise » qui servaient de facteur d’équilibrage supplémentaire.) Aujourd’hui, les concepteurs de jeux de cartes à collectionner sont plus au fait de ce problème ; alors même si on peut voir de temps à autre des jeux où « plus rare = plus puissante », les joueurs ne sont pas (grand merci) tentés d’accepter ces manigances.

Deuxièmement, les JCC ont un problème que les jeux vidéos n’ont pas (ou plus) : une fois qu’une série de cartes est publiée, il est trop tard pour la corriger avec un « patch » si un type de déséquilibre est découvert. Dans les cas drastiques, ils peuvent restreindre ou carrément bannir une carte, ou publier une sorte d’errata, mais dans la plupart des cas, ce n’est pas pratique ; les concepteurs sont coincés. De temps en temps, vous pouvez voir un concepteur qui essaie d’équilibrer une carte surpuissante dans un précédent set en créant une « contre-carte » dans le set suivant. C’est une solution de métagame ; si tous les paquets compétitifs utilisent la carte X, alors une nouvelle carte Y qui punit l’adversaire du fait de jouer la carte X donne aux joueurs une nouvelle option de métagame… mais si la carte Y ne fait rien d’autre, elle n’est uniquement utile que dans le contexte du métagame. Cela transforme le métagame en Pierre (paquet dominant), Papier (paquet avec la contre carte) et Ciseaux (tout le reste). Cela peut être préférable à un métagame avec seulement une stratégie dominante, mais cela n’est pas mieux, et cela décale certainement le focus du jeu actuel au métagame ; vous pouvez aussi bien montrer votre paquet à votre adversaire et déterminer un gagnant de cette façon.

C’est un exemple extrême, et il y a d’autres moyens de contourner un déséquilibre comme tel. La contre-carte aurait pu avoir d’autres effets utiles. Le jeu dans l’ensemble pourrait être conçu de telle manière que les choix d’un joueur pendant la partie contribuent plus grandement à l’issue, ou le paquet est plus une influence sur votre style de jeu qu’une stratégie établie. Cependant, certains jeux sont allés aussi loin qu’imprimer une carte qui dit « Quand votre adversaire joue [cette carte], [quelque chose de terrible lui arrive] » avec aucun autre effet, alors j’ai pensé que cela valait le coup d’être précisé.

Équilibre du jeu contre équilibre du métagame

Dans les sports professionnels, les correctifs du métagame rendent le jeu plus équilibré. Dans les JCC, les correctifs du métagame ressemblent à du bricolage. Pourquoi cette différence ?

La raison est que dans les sports, le déséquilibre existe dans le métagame pour commencer, alors un correctif de métagame pour ce déséquilibre est approprié. Dans les JCC, le déséquilibre provient soit des mécanismes de jeu ou des objets individuels du jeu (autrement dit, des cartes spécifiques) ; les déséquilibres du métagame qui résultent de cela sont un symptôme et non la cause source. En conséquence, un correctif de métagame pour un JCC est une réponse à un symptôme alors que le problème initial se poursuit sans être corrigé.

La leçon ici est qu’un problème d’équilibre de jeu dans une partie d’un jeu peut se propager et se manifester dans d’autres domaines, ainsi les problèmes que vous voyez pendant le test ne sont pas toujours les choses exactes qui ont besoin d’être réglées. Lorsque vous identifiez un déséquilibre, avant de coller un correctif dessus, demandez-vous pourquoi ce déséquilibre advient, ce qui en est la cause… et ensuite, ce qui cause cela, et ainsi de suite jusqu’au plus profond que vous puissiez aller.

L’équilibrage de jeu facile, pour les gens fainéants

J’essayerai de vous laisser chaque semaine avec des choses que vous pouvez faire dès maintenant pour améliorer l’équilibre d’un jeu sur lequel vous travaillez, et aussi quelques « travaux à la maison » que vous pouvez faire pour améliorer vos compétences. Comme nous avons juste parlé de vocabulaire (symétrie, déterminisme, solvabilité, information parfaite, et métagame) cette semaine, il n’y a pas grand-chose à faire, alors je vais commencer par vous dire ce qu’il ne faut pas faire.

Si vous avez des soucis pour équilibrer un jeu, la façon la plus simple de le corriger est de laisser les joueurs le faire pour vous. Une façon de le faire est la mécanique d’enchères. Il n’y a rien de mal avec les enchères en tant que mécanisme de jeu, détrompez-vous – elles sont souvent très attirantes et excitantes – mais elles peuvent être utilisées en tant que substitut pour recouvrir un déséquilibre du jeu, et vous devez en être conscient.

Laissez-moi vous donner un exemple de comment cela fonctionne. Supposons que vous êtes un concepteur à Blizzard qui travaille sur WarCraft IV, et vous avez un jeu pour deux joueurs Orques-contre-Humains que vous souhaitez équilibrer, mais vous pensez que les Orques sont un tout petit plus puissants que les Humains (mais pas beaucoup plus). Vous décidez que la meilleure façon d’équilibrer cela est de réduire les ressources de départ des Orques ; si les Humains démarrent avec, disons, 100 Or… peut-être que les Orques démarrent avec un peu moins. Mais combien en moins ? Et bien, c’est cela l’équilibrage de jeu, mais vous n’avez aucune idée de « combien en moins » ?

Voici une solution : faites en sorte que les joueurs parient leur Or de départ sur le droit de jouer les Orques au départ de la partie. Celui qui parie le plus, perd sa mise ; l’autre joueur démarre avec les 100 Or et joue les Humains les plus faibles. Éventuellement, les joueurs atteindront un consensus et finiront par miser la même quantité d’Or, ce qui équilibrera les choses. J’ai dit que c’était un design paresseux car il existe une réponse correcte ici, mais au lieu de faire en sorte de la découvrir, vous déplacez cette charge sur les joueurs et les faites équilibrer le jeu pour vous.

Notez que cela peut être de fait un bon outil dans le playtest. Sentez-vous libre d’ajouter une enchère dans un cas comme celui-ci, et laissez vos testeurs venir à un consensus sur combien vaut quelque chose, et ensuite donnez-lui un coût correspondant dans la version finale (qui n’inclue pas l’enchère).

Voici une autre façon d’amener les joueurs à équilibrer votre jeu pour vous : dans un jeu multijoueur chacun pour soi, incluez des mécanismes qui laissent les joueurs se liguer contre le joueur en tête. De cette façon, si un joueur trouve un déséquilibre dans le jeu, les autres joueurs peuvent coopérer pour le remettre en place. Bien entendu, cela introduit d’autres problèmes de jouabilité. Les joueurs pourraient faire le mort (sandbag) c’est à dire jouer de manière sous-optimale à raison ; de manière à ne pas attirer trop l’attention. Les joueurs qui s’en sortent bien (même sans l’exploitation des règles) peuvent sentir que les autres joueurs les punissent pour être des bons joueurs. Les mécanismes de type abattre-le-joueur-en-tête servent comment une forte boucle de rétroaction négative, et la rétroaction négative a d’autres conséquences : le jeu tend à durer plus longtemps, la compétence de début de partie n’est pas un facteur aussi important qu’en fin de partie, et certains joueurs peuvent sentir que l’issue de la partie est plus décidée par leur aptitude à ne pas se faire remarquer que leur compétence actuelle dans le jeu. Encore une fois, il n’y a rien de mauvais à donner aux joueurs la capacité de s’allier contre les autres… mais faire ceci pour l’unique raison de laisser les joueurs gérer vos pauvres compétences en design et équilibrage ne devrait pas être la première et unique solution.

OK ; il y a-t-il quelque chose que vous pouvez faire dès maintenant pour améliorer l’équilibre du jeu sur lequel vous travaillez ? Je dirai, examinez votre jeu pour voir si vous utilisez vos joueurs comme une béquille d’équilibrage (à travers les enchères, les mécanismes d’alliance contre le joueur en tête, ou similaire). Essayez de retirer ces béquilles et voyez ce qui arrive. Vous pourriez trouver que ces mécanismes couvrent certains déséquilibres du jeu qui deviendront plus apparents lorsqu’ils sont retirés. Quand vous découvrez les déséquilibres actuels qui étaient auparavant obscurcis, vous pouvez les corriger et rendre vos jeux plus robustes. (Vous pouvez toujours ajouter vos enchère et vos mécanismes d’alliance contre le joueur de tête plus tard, s’ils sont importants à la jouabilité).

Travail à la maison

Je tente ma chance et estime que si vous lisez cela, vous jouez probablement au moins à un jeu pendant votre temps libre. Si vous travaillez dans l’industrie du jeu comme concepteur, vous pouvez jouer à un jeu pendant votre journée de travail pour la recherche. Peut-être que vous avez l’occasion de regarder d’autres personnes jouer, que ce soit pour tester votre propre jeu, ou à la télévision (comme regarder un spectacle de jeu ou un sport professionnel).

Lorsque vous jouez (ou regardez) ces jeux cette semaine, ne restez pas là à regarder / jouer pour vous amuser. À la place, pensez aux actions de la partie et demandez-vous si vous pensez que le jeu est équilibré ou non. Pourquoi pensez-vous cela ? Si vous pensez qu’il ne l’est pas, où sont les déséquilibres ? Quelles sont les causes profondes de ces déséquilibres, et comment les changeriez-vous si vous vouliez les corriger ? Écrivez vos réflexions si cela aide.

Le propos de cela n’est pas d’améliorer le jeu que vous examinez, mais de vous donner un peu de pratique en pensée critique à propos de l’équilibrage des jeux. Il est émotionnellement plus facile de trouver des problèmes dans les jeux d’autres personnes que dans les vôtres (même si le processus est de fait le même) , alors commencez par regarder l’équilibre ou le déséquilibre des jeux d’autres personnes en premier.

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Prochain article : Niveau 2 – Relations numériques