Niveau 9 – Les histoires et les jeux

L’article original « Level 9: Stories and Games » a été écrit par Ian Schreiber et fait partie d’un cours de game design en ligne, publié sur le blog Game Design Concepts.

L’article original et cette traduction sont publiés sous licence Creative Commons (Attribution).

N’hésitez pas à visiter le blog de Ian Schreiber et suivre son compte Twitter.

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Jusqu’à présent, nous avons parlé des jeux d’un point de vue purement ludologique1. Ce qui veut dire que nous avons regardé les jeux en tant que systèmes de règles, avec l’hypothèse implicite que les règles sont le jeu, et qu’un récit de n’importe quel type est simplement là pour embellir. (N’importe quel mot avec le préfixe lud– ou ludo– fait référence aux jeux ; la racine est le mot latin pour « jeu ». Nous utilisons des mots comme ludologie, ludographie et ludique parce que cela sonne plus distingué si vous le dites en latin).

Mais cela n’est pas entièrement vrai. Comme nous l’avons mentionné lorsque nous avons parlé de types de décisions, certains choix de joueur peuvent n’avoir absolument aucun sens à l’intérieur du système de jeu et pourtant ils sont quand même significatifs parce qu’ils sont émotionnellement chargés.

Ceux d’entre vous qui jouent au jeux de rôle sur table sont probablement plus intensément sensibles à cela. Pensez aux sessions de jeu les plus intéressantes que vous ayez jamais eu. Vous ne pensez probablement pas à un lancer de dé, ou une décision stratégique intéressante qu’un joueur a fait pendant un combat. Vous vous souvenez de quelque chose de dramatique, d’émotionnel. Vous vous souvenez de l’histoire, pas du lancer de dé.

Qu’est qui fait les bonnes histoires ? Les game designers font souvent référence à trois œuvres en particulier qui nous disent comment créer des bonnes histoires qui s’appliquent directement aux jeux. Si vous êtes curieux, ces œuvres sont :

  • La Poétique, d’Aristote
  • Le Héros aux Mille Visages, de Joseph Campbell
  • Story : Substance, Structure, Style et les Principe de l’Écriture de Scénario, de Robert McKee.

Aujourd’hui nous verrons chacune de ces œuvres et leur effet sur le game design. Nous établirons une série de recommandations sur comment raconter une bonne histoire à l’intérieur d’un jeu. Et puis, à la fin, nous le démonterons à nouveau.

Course Announcements

As I’ve been out of town and offline since early Friday morning, I have not had time to validate new user accounts for the forums, read email, moderate comments on this blog, etc.

I will catch up on these things later today, or tomorrow morning at the latest, after I have fully recovered from a nearly-sleepless (in a good way) weekend. I’ll say this: playtesting your games with skilled game designers is very different from playtesting with typical gamers.

Résultats des mini-défis

Voici quelques nouveaux types de fun qui ont été proposés depuis la dernière fois :

  • « Serviteur » : L’opposé d’un « griefer », quelqu’un qui retire du plaisir en faisant en sorte que les autres passent un bon moment. (J’aurai appelé cela de façon différente, comme « hôte de soirée »… et oui, cela fait sens que cela aurait été valable pour un chasseur-cueilleur. Vous montrez votre valeur à votre tribu. Je comprends que Disney a identifié cela comme un archétype de client, en général associé avec la mère dans la famille.)
  • « Créateur » : quelqu’un qui retire du plaisir à construire et bâtir des choses. (L’exemple donné était le contenu créé par l’utilisateur dans les jeux vidéo, mais vous voyez cela parfois dans les jeux de plateau aussi, comme Les Colons de Catane. Certainement, la construction est utile pour la survie, même si tout ce que vous faites est un outil ou une simple hutte.

Lectures

Lisez les articles ou chapitres suivants :

  • Into the Woods: a Practical Guide to the Hero’s Journey  de Bob Bates. Cet article résume les travaux de Joseph Campbell, dans ce qu’ils ont de pertinent pour le game design.
  • What Every Game Developer Needs to Know about Story, par John Sutherland. Cet article résume le livre Story de Robert McKee (qui est lui-même pour l’essentiel un guide pratique de la Poétique d’Aristote), en complétant la Sainte Trinité de la narration pour les game designers.
  • Understanding Comics, Chapitres 2 et 3, si vous avez un exemplaire de ce livre. Au fur et à mesure de la lecture, faites attention en particulier à comment tout cela peut s’appliquer aux jeux. Scott McCloud ne vous le dira pas, alors vous aurez à relier les points par vous-même.

Aristote

À l’époque d’Aristote, beaucoup de mots étaient différents de ceux que nous utilisons aujourd’hui. La Poétique ne concerne pas la poésie, mais comment écrire la tragédie. La tragédie, de la façon dont Aristote utilise le terme, ne signifie pas « une histoire avec une fin triste » mais plutôt une histoire qui est sérieuse et semblable à la vie – une histoire vide de surnaturel et de fantastique (qu’il appelle la comédie).

Toutefois, une chose qui n’a pas changée depuis tout ce temps est qu’il y a toujours beaucoup de choses mal écrites.

Aristote n’a sans doute pas été le premier à le remarquer, mais il a certainement été l’un des premiers à réellement faire quelque chose à propos de ça. Il a écrit sur comment écrire une histoire décente. Si beaucoup de ses conseils semblent familiers, c’est parce qu’ils sont souvent répétés dans les cours d’écriture, même au niveau de l’école élémentaire – bien qu’Aristote ait été ou non crédité de l’idée dans n’importe quelle autre classe.

Par exemple, n’avez-vous jamais entendu que les histoires devaient avoir un début, un milieu et une fin ? C’est extrait de la Poétique. C’est pour se souvenir qu’il y a différentes parties dans une histoire, et que l’écrivain devrait être conscient de la façon dont elles s’ajustent ensemble.

La Poétique définit aussi ce qui est connu comme étant la structure en trois actes pour les histoires, basiquement la division d’une histoire en trois parties. Dans la première partie, quelque chose arrive pour mettre en mouvement les événements de l’histoire. Dans la seconde partie (qui tend à être la plus longue), le protagoniste essaie de faire face aux événements au fur et à mesure où ils arrivent. Dans la dernière partie, une résolution est atteinte. (Je l’ai entendu être décrit comme suit : dans le premier acte, faites monter le héros dans un arbre, dans le second acte, lancez-lui des pierres, et dans le dernier acte, faites le descendre).

Une chose importante qu’Aristote a réellement martelé est que chaque scène devrait suivre la précédente avec une relation logique de cause à effet. L’écriture faible se présente comme cela : « X arrive, puis Y arrive, et puis Z arrive. » L’écriture forte est plus comme cela : « X arrive, et à cause de ça Y arrive, et à cause de ça Z arrive ».

Cette règle de cause à effet est encore plus restrictive lorsqu’on en vient au protagoniste. Quand des choses terribles arrivent au personnage principal, cela ne devrait pas être aléatoire ; cela devrait être provoqué par l’action, humaine et compréhensible, du personnage, et devrait suivre en tant qu’effet plausible et inévitable de cette action. Cela fait ressentir au public de la pitié et de l’empathie pour le héros, parce que que nous pouvons voir les faiblesses humaines, nous pouvons comprendre pourquoi le personnage a fait ce qu’il a fait, et pourtant nous voyons aussi ce qui cause sa perte. Cela explique pourquoi Aristote détestait réellement ce qui était appelé deus ex machina (ce qui veut dire, une fin où soudainement tout s’améliore, mais pas grâce au personnage principal – par exemple, «  … et juste au moment où le personnage principal allait mourir, il se réveille, et réalise que c’était simplement un mauvais rêve. Fin ». Dans un deus ex machina, le héros n’est pas la cause de la fin. Le personnage principal ne contrôle pas l’histoire.

En appliquant ceci aux jeux, il devient clair pourquoi c’est parfois si frustrant quand, par exemple, un personnage dans un jeu vidéo meurt pendant une cinématique. La seule fois où le joueur n’a aucun choix – la seule fois où le personnage principal ne contrôle rien – est la seule fois où l’intrigue avance.

Pour finir, cela vaut le coup de mentionner qu’Aristote a défini une mise en scène comme comprenant six éléments. Nous avons des éléments similaires dans les jeux avec un fort composant narratif :

  • Intrigue. Le récit qui décrit ce qui arrive.
  • Thème. Qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi est-ce que cela arrive ?
  • Personnage. En tant que rôle unique dans l’histoire.
  • Diction. Le dialogue, et aussi le phrasé de l’acteur.
  • Rythme. Cela inclut le « rythme » dans le sens de la musique, mais aussi le rythme naturel du discours humain.
  • Spectacle. C’est ce qu’Aristote appelle l’ « agréable à l’œil » ou les effets spéciaux de son époque. Il se plaignait souvent que trop de pièces contenaient du spectacle et rien d’autre – cela vous paraît familier ?

McKee

Je ne suis pas certain du fait que Robert McKee a jamais écrit un scénario qui a été tourné en film. Pour la plupart, il a enseigné l’écriture. Si vous être sorti d’un film en disant « wow, c’était vraiment une belle histoire », le scénario a été probablement écrit pas l’un des étudiants de McKee. (J’aimerai être considéré comme le « McKee des jeux » un jeu. Une note pour mes précédents étudiants : faites de votre mieux et rendez-moi beau !).

Story est essentiellement une réécriture de la Poétique, mais faite spécifiquement pour le scénario de film. J’ai aussi trouvé que Story était plus accessible à lire ; il est écrit dans un style conversationnel (sans préciser qu’il est écrit en anglais contemporain et non en ancien grec). Pour paraphraser quelques unes des nombreuses leçons du livre de McKee :

L’histoire ne concerne pas les formules, elle concerne les formes. Vous ne créez pas une histoire en suivant un gabarit. Toutefois, en comprenant les liens communs entre les différentes histoire, vous pouvez en écrire une qui soit unique. (J’ajouterai que c’est la même chose pour n’importe quoi dans ce cours).

Toutes les histoires ont cette forme :

  • Le protagoniste a un but, qui est créé par un incident déclencheur.
  • Le protagoniste essaie d’atteindre son but, mais un fossé [dramatique] (une sorte d’obstacle, pas nécessairement un fossé littéral), s’ouvre et empêche la réalisation immédiate du but.
  • Le protagoniste tente de franchir le fossé. Soit le fossé s’élargit et il ne peut pas le franchir, soit il franchit le fossé et de nouveaux fossés apparaissent.
  • Ce cycle de franchissement de fossés continue jusqu’à ce que le protagoniste atteigne finalement le but, ou soit empêché d’atteindre le but de manière irréversible.
  • Dans une structure en trois actes typique, il y a deux retournements (nouveaux fossés) qui arrivent entre les Actes.

Les histoire concernent, en leur cœur, le changement. Chaque scène devrait changer quelque chose, ou avoir quelque chose d’inattendu qui arrive. Si à la fin d’une scène, les personnages sont dans le même état qu’ils étaient au début, c’est un signe que vous devriez retirer cette scène. Pensez-y de cette façon – si vous deviez convertir votre vie dans un film de deux heures, perdriez-vous du temps d’écran à vos tâches d’entretien quotidien ? Ou montreriez-vous les moments où quelque chose d’énorme change dans votre vie, et permettre au public de partir du principe que ces choses se passent normalement entre les deux ?

Notez comment cela concorde avec les jeux. Les jeux concernent la prise de décision, ce qui cause un changement dans l’état du jeu. Les jeux reposent sur une issue incertaine, et c’est seulement à la fin qu’un but est atteint ou manqué de façon irréversible. Ce n’est pas surprenant, alors, que certains jeux aient des fortes histoires émergentes qui naissent d’une expérience de jeu particulière.

Une autre chose intéressante dont McKee parle est la différence entre ce qu’il appelle le personnage et la personnalisation. Les choses auxquelles nous pensons normalement quand nous définissons un « personnage » sont des données superficielles : nourriture favorite, groupe sanguin, couleur de cheveux, et ainsi de suite. McKee appelle ceci la caractérisation. Le caractère est ce qui définit la personne – utilisé dans le sens de « cette activité forge le caractère » ou « elle a un fort caractère moral ». Ce que McKee dit est que le caractère peut seulement être révélé en faisant opposition à une personne. Par exemple, nous pourrions dire que quelqu’un est « altruiste »… mais jusqu’à ce que nous soyons dans un immeuble en feu et devions faire le choix entre essayer de sauver un étrange ou se sauver soi-même, c’est simplement des mots.

Quelle est l’implication du caractère et de la caractérisation dans les jeux ? En premier, que les histoires linéaires ont la meilleure opportunité de montrer le caractère à travers les cinématique, et non le gameplay. Demander au joueur de faire un choix moral pour le personnage principal est difficile, parce que les choix n’impliquent souvent pas de conséquences réelles. Parce que c’est du jeu (« seulement un jeu », « Cercle Magique »), le joueur est à l’abri, et ainsi n’a rien à perdre du monde réel. Ainsi le joueur ne fait pas de choix qui reflète son propre caractère, parce que le caractère n’est pas testé par une opposition extrême. Prendre une balle pour un ami dans le monde réel n’est pas vraiment la même chose que décider dans un menu de gagner ou non des points du Côté Lumineux. Cela n’est certainement pas impossible d’inclure des dilemmes moraux dans un jeu, mais c’est beaucoup plus difficile de faire sentir au joueur les conséquences morales de ces choix, parce que le joueur fait ces décisions et non le protagoniste. Il est ainsi plus facile de montrer des forts caractères quand le joueur ne contrôle pas l’histoire.

Mais bien entendu, cela rend aussi l’histoire moins interactive et ainsi moins ludique. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles la narration dans les jeux est difficile.

Joseph Campbell

Joseph Campbell a passé beaucoup de son temps à étudier les mythes, les légendes, et les récits héroïques, en trouvant des similarités et des différences entre eux. Il a trouvé que la plupart des mythes suivent une structure commune, qu’il a appelé le Monomythe ou le Voyage du Héros. C’est un type de récit spécifique et ainsi plus spécifique que la description d’histoire de McKee. Parce que de nombreux jeux mettent le joueur dans la position d’un héros, il est évidement utile à connaître.

Le Voyage du Héros se déroule comme suit :

  • Le héros démarre comme simple personne dans le monde ordinaire, et ce monde « normal » est établi.
  • Le héros reçoit un appel pour l’aventure.
  • Le héros pourrait décider de suivre l’appel, ou de l’ignorer. Dans le dernier cas, de nouveaux événements forcent alors le héros à suivre l’appel quoi qu’il en soit.
  • Le héros démarre son voyage et rencontre la première barrière. C’est souvent un gardien qu’il doit battre pour progresser.
  • Le héros passe alors la barrière et entre dans un nouveau monde, plus sombre. Il suit une route d’épreuves, chacune plus difficile que la précédente. Sur le chemin, le héros grandit – pas simplement en terme de « point d’expérience » et « niveaux » mais dans le sens de « devenir plus mature ». Le héros devient une meilleure personne. Il devient, et bien, un vrai héros.
  • Éventuellement, le héros rencontre l’opposant final et est capable de le battre.
  • Le héros revendique le prix.
  • Le héros commence à revenir dans son monde, et sur le chemin rencontre la dernière barrière.
  • Finalement, le héros revient au monde ordinaire. Le monde pourrait être le même, mais le héros a changé.

Vous pourriez reconnaître cette structure dans de nombreuses histoires de héros, et le livre de Campbell va dans le détail de pourquoi chacune des ces choses arrive, ce qu’elle symbolise, et ce que cela dit de nos valeurs en tant que société. En résumé, les histoires de héros sont ce qu’une culture en particulier voit comme l’ensemble idéal d’éthiques et de valeurs, et le personnage du héros incarne et démontre cet idéal.

Maintenant, vous pourriez être tenté d’utiliser cela comme une formule. Prenez une liste d’archétypes avec une case à cocher à côté d’eux, et presto, vous avez maintenant une histoire convenable ! Malheureusement, ce n’est pas facile. Comme McKee le dit, les histoires (et les histoires de héros sont incluses dedans) ne sont pas des formules, mais des formes. Le propos ici est de ne pas suivre aveuglément le Monomythe.

Quel est l’utilité ici, alors, si nous ne pouvons pas nous en servir pour faire une histoire ? Je pense que la chose la plus importante à retenir est d’être conscient de ce que sont les formes courantes des histoires, de manière à ce que vous puissiez suivre chaque étape, ou non, si elle est appropriée à votre histoire. Mais, il est important de le faire délibérément et pas simplement « parce que » Campbell l’a dit. Notez que peu de jeux suivent cette structure – en particulier ou vous jouez un anti-héros.

Bob Bates commente cette structure dans son article :

  • Lorsque vous écrivez, commencez avec une prémisse centrale et une vision en premier. Choisissez un héros et un opposant qui incarne votre prémisse.
  • Montrez le monde ordinaire du héros, ensuite perturbez l’ordre de ce monde à travers un incident déclencheur. C’est typiquement ce qui arrive au début d’un jeu.
  • Entrez dans « les bois » – le jeu lui-même
  • « Rencontrer l’opposant » est essentiellement une description de combat de boss – ce qui suggère pourquoi nous voyons autant de combat de boss dans les jeux !
  • « Revendiquer le prix » peut être vu comme le héros qui réalise la prémisse de votre histoire. Il n’a pas à trouver un « prix » littéral comme un sac d’or ou une princesse ou un ancien artefact magique.
  • Pendant la partie, le personnage du héros devrait grandir. Encore une fois, il est facile pour nous en tant que designer de tomber dans le piège d’avoir le personnage principal grandir en terme de niveau de puissance (et c’est pratique que le joueur grandisse dans ses compétences dans leu jeu auquel il joue). Toutefois, cela peut souvent faire une meilleure histoire si le caractère du héros grandit pendant l’histoire aussi. Il n’a pas à démarrer en tant que divinité. Cela peut être plus intéressant s’il démarre comme paysan et devient une divinité. Souvenez-vous, c’est le héros qui doit grandir, pas simplement le joueur.

Scott McCloud

Understanding Comics ne dit pas grand-chose sur la narration des histoires dans les chapitres 2 et 3, mais il donne des conseils pratiques sur la création de personnages forts et les moments dramatiques.

Dans les pages 44 à 45, McCloud note que les styles artistiques peuvent varier entre iconique (comme un smiley) et photo-réaliste, avec beaucoup d’étapes potentielles entre les deux. Il pointe que plus quelque chose est iconique, plus nous pouvons nous projeter dedans ; et plus elle est détaillée et réaliste, plus nous la voyons comme quelque chose différente de nous même. (En revenant à Koster, nous pouvons dire que c’est parce que nos cerveaux sont des fabuleuses machines de reconnaissances de motifs, et nous remplirons les blancs avec ce que nous savons déjà de la vaste librairie de motifs que nous avons construit).

Quelles sont les implications de cela dans les jeux ?

  • Prenez en considération les personnages principaux de nombreux jeux vidéo – Master Chief, Samus Aran, Gordon Freeman, Chell. Vous ne voyez pas beaucoup votre propre personnage, et même ne l’entendez pas parler. Ce n’est pas un accident. C’est fait délibérément pour permettre au joueur de se projeter lui-même dans le personnage. Le personnage devient une extension de vous en tant que joueur, et vous sentez une connexion émotionnelle avec le personnage spécifiquement parce qu’il n’est pas très bien défini.

  • D’un autre côté, vous pouvez aussi avoir une personnage fort qui est très défini – Duke Nukem ou Lara Croft, par exemple. Dans ce cas, nous reconnaissons immédiatement le personnage principal comme n’étant pas nous. Pour compenser cela, ils doivent montrer une forte personnalité.
  • En général, alors, je dirais que vous pouvez allez dans l’une ou l’autre direction avec le personnage principal. Faites le iconique et ne définissez pas sa personnalité (pour permettre au joueur d’en créer une pour lui-même) ou faites le réaliste et définissez un personnage très fort. N’importe quelle autre combinaison rend plus difficile pour le joueur le fait de se connecter avec leur avatar.
  • Aussi, prenez en considération les ennemis et adversaires dans le jeu. Comme les visuels réalistes impliquent une sensation d’altérité, les ennemis qui sont très détaillés sembleront très étrangers, alors que les ennemis qui sont un peu plus cartoon ou iconiques sembleront plus familiers. Les monstres dans le jeu vidéo Doom sont dessinés dans un style réaliste, ce qui les rend encore plus étrangers et ainsi dangereux. Par contraste, les monstres dans Pokemon sont cartoonisés, ce qui les rend plus amicaux, ce qui est adapté pour un jeu ou vous pouvez recruter des ennemis et les transformer en alliés. Dans les jeux de plateau, nous pourrions attendre que les jeux avec des pièces iconiques (comme des pions colorés) qui représentent les joueurs fassent du pion une extension du joueur (une sensation de familiarité), et aussi que les pions des autres joueurs apportent un sentiment de familiarité – cela facilite l’intimité. Par contraste, les jeux avec des éléments très détaillés (des figurines réalistes, ou détaillées, ou des photographies des personnages joués par les joueurs avec une description profonde du personnage) donne un sentiment de séparation entre le joueur et le personnage et aussi pourrait amener les joueurs à voir les autres comme une opposition.
  • Cela a aussi des applications lorsque le joueur est confronté aux environnements. SI l’environnement (que ce soit un niveau informatique en 3D ou une plateau de jeu physique en 2D) est photo-réaliste, c’est un rappel pour le joueur que c’est un autre monde. C’est plus adapté aux jeux qui essaient de faire sentir au joueur qu’il est dans un lieu exotique et perturbant. Par exemple, les jeux de suspense et d’horreur peuvent tirer partie du fait d’inclure des environnements hautement photo-réalistes.

Un autre point que McCloud fait (en page 38) est que nous sommes faits pour utiliser des outils, et nous les voyons comme une extension de nous-même. Notre sentiment de soi s’étend non seulement à notre propre corps, mais à tout sous son contrôle direct. Comme il le pointe, quand vous êtes dans un accident de voiture, vous être plus à même de dire « hey, il m’est rentré dedans » plutôt que « sa voiture a heurté la mienne ». Cela devient personnel.

Qu’est-ce que cela à à voir avec les jeux ?

  • Pour les jeux vidéo, une manette de console (ou souris / clavier) devient une extension du corps humain. Le joueur voit le contrôleur comme une partie de lui-même. Cela explique pourquoi les contrôles de jeu et une bonne interface sont si importants pour les jeux vidéo – si vous avez des difficultés à déterminer comment utiliser le contrôleur, c’est aussi frustrant que si vous essayez de prendre quelque chose avec vos mains mais vos mains ne répondent pas.
  • À la fois pour les jeux vidéos et les jeux de plateau, l’avatar (qui est la représentation du joueur dans le jeu) agit aussi comme une extension du joueur. Comme dans une accident d’auto, si votre adversaire atterrit sur votre pion et le renvoie au début, vous êtes à même de dire « hé, il m’a fait reculer ». En tant que designer, soyez conscient de l’attachement émotionnel du joueur à son avatar dans le jeu.

La dernière chose sur laquelle j’aimerai attirer votre attention est le concept de McCloud du « sang dans le caniveau » (pages 66-69). Dans le livre, il y a deux panneaux, un avec un meurtrier qui balance une hache à une victime et ensuite un qui vous montre juste un cri. Quand est-ce que le gars est mort ? Entre les panneaux… et c’était vous, le lecteur, avec votre imagination, qui l’avez tué. Rien n’a été montré.

Cela a des implications dans tous les autres types de médias narratifs. Alfred Hitchcock était une maître pour ne rien montrer. Par exemple, dans la fameuse scène de la douche de Psychose, vous ne voyez jamais rien. Il y a un plan d’un type qui fait le geste de poignarder avec un couteau (mais qui ne montre aucune victime), juxtaposé avec un autre plan d’une femme qui crie (mais que l’on ne montre pas se faire poignarder), aller et retour, et éventuellement, un plan de faux sang qui descend le drain (sans montrer le meurtrier ou la victime).

Comment appliquons-nous ceci au fait de raconter des histoires dans les jeux ?

  • Certains narrateurs ont un fort désir de donner chaque détail technique de comment tout fonctionne et chaque morceau d’histoire antérieur dans leur monde de fantaisie. Mais cela n’est pas nécessaire. Les joueurs rempliront les vides pas eux-même. Vous n’avez pas besoin de leur dire quoi que ce soit.
  • En fait, il est souvent plus efficace si vous ne dites rien ! L’imagination d’un joueur est infiniment plus vivace que l’imagerie de votre jeu.
  • Pensez au joueur comme à un participant actif de votre histoire. Il y pensera de toute façon ; écrivez une histoire qui les récompense pour utiliser leur imagination.
  • Cela a aussi un avantage économique. Nous tendons à mettre beaucoup d’argent dans des graphismes détaillés et des cinématiques interminables, mais si nous économisons et montrons moins, l’effet net peut de fait être plus puissant si nous le faisons correctement.
  • En d’autres termes… moins c’est plus. Trouver l’équilibre entre « assez d’information pour comprendre ce qui se passe » et « pas assez d’information et tout le reste est laissé à l’imagination » est l’un des travaux les plus délicat pour un écrivain d’histoires, et c’est une autre raison pour laquelle la narration dans les jeux est difficile.
  • Pensez à certains exemples d’histoires que vous avez vues (provenant de jeux ou autres), où il y avait trop ou trop peu d’information, et l’histoire en a souffert. Pensez à d’autres exemples où l’on ne vous a rien dit, mais cela allait, et le public était capable d’avoir une expérience agréable.

Ernest Adams

Le game designer Ernest Adams a donné une conférence inspirée à la GDC 2006 intitulée « A New Vision for Interactive Stories. » D’abord il a brièvement résumé la plupart de ce que j’ai écris au dessus, ensuite il a procédé pour défier les hypothèses de base, et enfin a essayé de amener les choses à l’étape d’après. Ce qui suit sont mes notes et mes commentaires personnels de la session.

  • La Poétique d’Aristote est un grand livre, mais n’oubliez jamais qu’il a été écrit pour les pièces de théâtre et non les jeux. Les histoires peuvent avoir un début, un milieu et une fin… mais dans les jeux, elles peuvent souvent avoir plusieurs débuts, milieux et fins. La structure en trois actes fonctionne bien pour deux à trois heures de jeu (ou film), mais n’est pas nécessairement appropriée pour un jeu de plateau de 30 minutes, ou une campagne de jeu de rôle d’un mois, ou un jeu sur console d’une centaine d’heures
  • Le Voyage du Héros de Campbell est limité aux histoires avec un héros. Que faire si votre histoire n’a pas de héros ? Aussi, comme Campbell l’admet, le Monomythe n’est pas un gabarit, alors nous ne pouvons pas l’utiliser pour bâtir nos histoires.
  • Le livre Story de McKee se focalise sur les scénarios de films, alors il pourrait être applicable ou pas à tous les jeux. Les jeux sont un medium différent des films. Alors qu’il y certaines similarités, il est important d’être conscient des différences, alors n’importe quel conseil sur l’écriture de scénario doit être utilisé avec précaution lorsqu’il est appliqué aux jeux.

Donc, si aucune des choses n’est utile, sommes-nous revenus au point de départ ? (Je ne pense pas. Nous avons à démarrer de quelque part, et partir en étudiant ce qui fait une grande histoire dans les autres medias est toujours un point de départ utile. Nous irons dans les formes uniques des histoires interactives ce jeudi.)

Adams a ensuite établi trois hypothèses que nous faisons souvent lorsque nous essayons de raconter des histoires dans les jeux :

  1. Le « Saint Graal » des histoires interactives est un bac à sable complet, un « Holodeck », une simulation parfaite du monde qui répond de manière crédible aux actions du joueur.
  2. Les histoires interactives ne sont pas des jeux.
  3. Lorsqu’un joueur est impliqué dans un récit interactif, il devrait penser à l’histoire et non aux mécaniques du jeu.

Et puis il met au défi ces hypothèses.

En premier, qu’est-ce qu’il y aurait de mal à avoir une simulation parfaite de monde ? Il y a toujours la raison pratique que cela serait infiniment coûteux. Et puis il y a l’argument de Koster que nous avons déjà un, qui s’appelle le Monde Réel, et ce n’est pas toujours fun. Mais principalement, le problème ici est que même dans les jeux les plus « monde ouvert », le joueur ne retire pas son plaisir d’une liberté totale… mais plutôt, d’être libre dans un environnement contraint.

Ernest a proposé une règle d’un autre designer, auquel il fait référence comme étant « La Loi de Ken Perlin » : le coût d’un événement dans une histoire interactive doit être directement proportionnel à son caractère improbable. Qu’entend-il par « coût » ? Il explique que chaque écrivain a un « budget crédibilité » – et si trop de choses incroyables arrivent, vous violez la suspension de l’incrédulité. La somme cumulative des choses improbables qui arrivent pendant votre histoire ne doit pas excéder un certain volume, ou les joueurs vont trouver cela pourri. (Naturellement, certains jeux ont un budget crédibilité plus élevé que d’autres, sur la base de leur contexte – des poules qui apparaissent dans le vide peut être courant dans un monde de haute magie, mais serait considéré hors de propos dans un contexte réaliste contemporain.)

En tant que concepteur d’histoire interactive, vous faites essentiellement un pacte avec le joueur : si vous (le joueur) agissez de façon crédible, vous aurez une histoire crédible. C’est très important – à la fois le designer et le joueur partagent le budget crédibilité. Le joueur doit accepter la prémisse de l’histoire comme faisant partie du fait d’entrer dans cercle magique pour jouer. Si le joueur agit d’une façon qui est inconsistante avec le monde ou avec l’histoire, et obtient en retour une histoire peu crédible, cela n’est pas la faute de l’écrivain ; c’est la faute du joueur. Ainsi, ce n’est pas le but de l’écrivain de l’histoire de créer une histoire crédible à 100 % dans tous les cas ; elle doit simplement répondre de manière crédible au joueur qui agit de manière crédible.

Comme nous l’avons vu dans Formal Abstract Design Tools de Doug Church, il y a un équilibre entre l’intentionnalité du joueur et le récit. Toutefois, nous pouvons étendre cela à travers le contrat social de « jeu de rôle » (dans le sens de jouer de fait un rôle, pas de errer à travers des donjons) entre le joueur et le designer.

Bien entendu, de manière à ce que le joueur accepte ce contrat, il doit être conscient des règles du jeu, et il doit être d’accord pour jouer en suivant ces règles. Dans ce sens, les règles sont un composant important du jeu, mais l’histoire interactive et le jeu sont aussi liés ensemble d’une façon qui fait l’expérience à la fois du jeu et de l’histoire.

Un manière de fusionner les jeux et les histoires. C’est ce que beaucoup d’entre nous cherchons, n’est-ce pas ?

Leçons apprises

Aristote, Campbell et McKee fournissent certains des conseils les plus souvent cités pour les conteurs en général, alors il est naturel que nous appliquions leurs conseils aux jeux. Pour ceux qui sont principalement intéressés par cet aspect des jeux, je vous recommanderai fortement de lire leurs livres sur votre temps libre (une fois que ce cours sera terminé, bien entendu). Vous pouvez les trouver ici : AristoteCampbellMcKeeJe fournis ces liens par commodité uniquement ; ils ne sont pas requis pour ce cours.

Dans les jeux, l’identification entre les joueurs et leurs personnages, avatars, pions et ainsi de suite est une manière usuelle d’amener les joueurs à être engagés émotionnellement dans le jeu. Lorsque vous concevrez un jeu, pensez à cela et comment vous pouvez avoir un investissement émotionnel des joueurs.

Souvenez-vous qu’il y a une différence entre le récit intégré que l’écrivain de l’histoire crée, et le récit émergent qui provient du gameplay. Pensez à celui qui est le plus important que vous faites, et comment vous pouvez le rendre plus fort.

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Jeu à la maison

Le propos de ce jeu à la maison est de vous donner un peu d’expérience pour comprendre la relation de l’histoire aux mécaniques de jeu, et ce qui arrive les deux ne sont pas alignés.

Nous démarrons avec une version simplifiée du jeu abstrait de Pente :

  • Joueurs: 2
  • But du jeu: placez vos pierres soit en ligne de cinq, ou capturez cinq paires de pierres de l’adversaire.
  • Mise en place : placez un plateau en forme de grille (vous pouvez utiliser un plateau de Pente ou de Go, ou fabriquer le votre – faites-en un de 19×19) sur la table entre les joueurs. Choisissez qui démarre.
  • Déroulement de la partie : à votre tour, choisissez un carré blanc et placez votre pierre dans ce carré. (Vous pouvez utiliser des pierres en verre coloré, ou simplement écrire « X » et « O » sur une pièce de papier comme dans le Morpion.) S’il y a exactement deux pierres opposées en ligne droite (orthogonalement ou diagonalement) adjacent à l’endroit où vous venez de poser, et il y a une pierre vous appartenant de l’autre côté des deux pierres adverses dans la même ligne, alors les deux pierres ennemies sont capturées. Retirez-les du plateau (effacez les symboles si vous jouez avec du papier et un crayon), et mettez-les à côté pour montrer que vous les avez capturées. Il est possible de faire plusieurs captures lors d’un tour s’il y a plusieurs séquences de deux-ennemis-un-ami autour de votre position dans toutes les directions.
  • Limitations à la capture : la capture arrive uniquement quand une pierre est placée. Il est autorisé de se placer dans un endroit qui provoque un « X-O-O-X » ou « O-X-X-O » sur le plateau, en se plaçant au milieu. Dans ce cas, les pierres à l’intérieur ne sont pas capturées.
  • Fin de partie : Si un joueur arriver à aligner cinq de ses pierres en ligne droite (orthogonalement ou diagonalement), il gagne. Si un joueur fait un total de cinq captures, il gagne aussi.

Si vous n’avez pas joué à ce jeu, vous pourriez y jouer plusieurs fois (soit avec un ami ou simplement contre vous-même) pour avoir une idée.

Lorsque vous êtes familiarisé avec le jeu, créez une histoire en toile de fond pour le jeu. Quel est le contexte ? Que représentent les pierres ? Pourquoi les placez-vous ? Essayez d’inventer une histoire qui correspond aux mécaniques. Ne changez pas les règles.

Ensuite, jouez au jeu (avec les règles non modifiées, mais avec votre récit) avec un ami. Notez leur réaction au jeu.

Post the following to the forum:

  • Your backstory, as written.
  • Your experience when playing the game with the backstory. Did your story make a difference? Did it affect the play experience? Or was it exactly the same as if there were no story at all?
  • Why do you think you got the reaction you did? Do you think it would have been different if you had chosen a different story?

Post in the forum that most closely resembles your skill and experience level as a designer:

Beginner, little or no experience prior to taking this course.

 

Intermediate, some coursework or exposure to game design but little or no professional experience.

 

Advanced, at least some professional experience as a published game designer.

Make your post on or before Thursday, July 30, noon GMT. Then, read at least five other posts in the same forum, and five more in the skill level above yours (unless you posted in Black Diamond). You do not have to respond. What I want you to see is the variety of responses that people will have. Do this reading before Monday, August 3.

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1 Les mots « ludologique », « ludologie » et « ludographie » sont des néologismes.