Eléments des jeux : Interaction

Texte original « Game Elements: Interaction » écrit par Teale Fristoe (Nothing Sacred Games) et publié sur League of Gamemakers.

Traduit par Xavier Lardy et publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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Aujourd’hui je continue d’étudier les éléments basiques qui font les jeux de plateau avec l’interaction. Les précédents articles peuvent être consultés ici : Buts, Score, Actions, Ressources, Incertitude, Espace et Temps, Acquisition, Élimination.

Dans ma discussion sur les Actions, j’ai mentionné que tous les jeux ont besoin d’actions de façon à ce que les joueurs puissent, de fait, faire quelque chose. Mais c’est simplement la moitié de l’histoire. Sans des retours à ces actions, les actions sont insignifiantes.

UN JEU A BESOIN DE FOURNIR DE L’INTERACTION À UN JOUEUR POUR QU’IL AIT RÉELLEMENT DU POUVOIR

Un jeu peut fournir trois types d’interaction. En premier, le jeu peut réagir aux actions du joueur. C’est la base de nombreux jeux vidéos, qui ont des ordinateurs puissants qui peuvent répondre aux joueurs de façon sophistiquée. Les jeux de plateau réagissent aussi aux actions des joueurs, mais les réactions doivent être suffisamment simples que les joueurs puissent les réaliser sans qu’elles n’apparaissent comme une corvée. Pour les jeux solitaires et les coopératifs, cette sorte d’interaction est essentielle.

En second, les jeux peuvent interagir avec eux-mêmes. Différentes pièces fonctionnent ensemble de façons intéressantes, et les règles peuvent amener des résultats inattendus. Cela peut sembler pas trop interactif du point de vue du joueur, mais découvrir ces interactions peut être une grande source de plaisir. Les jeux avec des interactions internes modérément complexes peuvent même servir de puzzles amusants à résoudre pour les joueurs.

Le dernier type, l’interaction entre joueurs, est là où le jeu de plateau brille. La plupart des jeux de plateau fournissent un cadre dans lequel les joueurs interagissent les uns avec les autres. Même si de nombreux joueurs sont excités par des pièces chic, des belles illustrations, ou des mécaniques nouvelles, c’est l’interaction qui amène les amis autour de la table pour partager l’expérience ensemble.

Aujourd’hui je me focaliserai sur l’interaction entre les joueurs, en cela qu’elle place à part les jeux de plateau des autres jeux. Je commencerai par discuter certains concepts de haut niveau, et ensuite étudierai quelques types spécifiques d’interaction.

INTERACTIONS CRUELLES

La première chose importante à avoir à l’esprit quand on en vient à l’interaction entre les joueurs est de savoir si l’interaction est cruelle ou non. Est-ce que vous encouragez les joueurs à s’attaquer ou se blesser les uns les autres ? Se mentir et se trahir les uns les autres ? Est-ce que les personnes vont quitter la table avec un esprit revanchard ?

Les interactions cruelles ne sont pas pires que les autres types d’interaction, mais elles sont puissantes, et elle ne sont pas appropriées à tous les types de jeu. En particulier, il est important de réaliser qu’en incluant des interactions cruelles dans votre jeu, vous découragez de nombreuses personnes d’y jouer. Selon le public cible du jeu, cela pourrait ne pas être un problème, mais comprenez que vous limiterez les base de joueurs potentiels.

Aussi, soyez vigilants quand à inclure seulement quelques interactions cruelles parsemées dans un jeu. Les interactions cruelles peuvent aisément éclipser les interactions principales du jeu, dominer l’expérience du joueur en dépit de vos intentions. Si votre jeu contient des interactions cruelles, c’est souvent mieux d’en faire le centre de l’expérience principale.

LA BONNE QUANTITÉ D’INTERACTION

En général, l’interaction est une bonne chose dans les jeux de plateau. Interagir avec les amis est une des raisons principales pour lesquelles les gens jouent aux jeux ! Mais chaque jeu a une certaine quantité d’interaction qui est appropriée. Si vous incluez trop d’interaction, le jeu peut aisément être ressenti comme trop chaotique, avec les joueurs qui ont la sensation de n’avoir peu de contrôle ou qu’il n’ont pas de pouvoir personnel. De plus, les mécaniques hautement interactives, comme la négociation, prennent souvent du temps. Si vous trouvez que votre jeu traîne trop, demandez-vous s’il y a trop d’interaction, ou si l’interaction est trop déstructurée.

Si vous trouvez que votre jeu a trop d’interaction, prenez en considération le fait de la concentrer. Dans de nombreux jeux populaires, en particulier les jeux Euro, les joueurs interagissent de façon très spécifique, prenez en considération le fait d’en retirer certaines, en particulier si ces formes d’interaction viennent de façon occasionnelle.

Est-ce qu’un jeu peut avoir trop peu d’interaction ? Je le pense, mais je suis souvent surpris de la façon dont ces jeux ont du succès malgré leur très peu d’interaction. Des jeux comme Splendor et Dominion, qui ont beaucoup d’adeptes, ont une interaction très limitée. Comment peuvent-ils s’en sortir ?

Le blocage, comme dans Les Aventuriers du Rail, peut fournir de l’interaction sans dominer l’expérience de jeu. Image tirée de BGG.

En premier, ils contiennent souvent des interactions plus subtiles entre les joueurs qu’il n’y parait de prime abord. Ces interactions sont souvent fondamentales dans la structure du jeu. Par exemple, dans Splendor, les joueurs ont besoin de surveiller avec précaution les tableaux des adversaires pour anticiper ce qu’ils voudront et les bloquer si nécessaire. Dans Splendor et Dominion, les joueurs déterminent la fin de la partie, alors ne pas faire attention à vos adversaires est une bonne façon d’être laissé derrière.

En second, s’il y a beaucoup d’interactions entre le joueur et le jeu, et d’interactions entre les éléments du jeu eux-mêmes, les interactions entre joueurs peuvent de fait détourner l’attention de l’expérience. La plupart du fun de Dominion vient du fait d’explorer les nombreuses combinaisons de cartes, et le fait d’interagir avec les autres joueurs (avec, par exemple, des cartes d’attaque), tend à détourner du fun principal.

Pour finir, chaque jeu bénéficie d’un niveau d’interaction approprié pour ses mécaniques, son thème, son public cible, et son usage prévu. Il n’existe pas de règle stricte, alors utilisez votre jugement et les retours de vos playtesteurs pour déterminer quand votre jeu a la bonne quantité d’interaction.

TYPES D’INTERACTION

J’aimerai terminer cet article en discutant certains des types d’interaction que vous pourriez rencontrer dans les jeux, ou prendre en considération pour les vôtres. Je n’ai pas l’intention que cette liste soit exhaustive. En fait, je crois qu’il y a certains types d’interaction que doivent être encore inclus dans les jeux… peut-être que vous ferez un jeu qui contient quelque chose de complètement nouveau ! Dans tous les cas, sentez-vous libres d’amender cette liste dans les commentaires en dessous.

Blocage. Un des types d’interaction les plus répandus et les plus subtils est le blocage. De façon la plus générale, le blocage apparaît quand les actions d’un joueur déterminent partiellement les actions disponibles des autres joueurs. C’est la forme centrale de l’interaction dans la plupart des jeux de placement d’ouvrier et de drafting, mais c’est aussi présent dans n’importe quel jeu où les joueurs déterminent quand le jeu se termine. Dominion et Splendor utilisent tous les deux le blocage comment forme principale d’interaction, et même la partie « construction » des Colons de Catane est dominée par le blocage.

Bien souvent, le blocage ne paraît pas être une mécanique hautement interactive. Dans de nombreux jeux, les joueurs font simplement leurs affaires, et à l’occasion sont gênés par leurs adversaires. Mais les joueurs compétents seront contraints de faire attention à ce que leurs adversaires font, anticiper ce qu’ils prévoient, et décider si c’est plus avantageux de poursuivre leurs propre plans ou essayer de contrer les plans de leurs adversaires. Dans les jeux de blocage, les joueurs peuvent choisir dans quelle quantité d’interaction ils s’engagent réellement.

Les jeux avec des échanges (une forme de négociation), comme Bohnanza, contiennent beaucoup d’interaction. Image tirée de BGG.

Négociation.  Une des formes d’interaction les plus interactive est la négociation, quand les joueurs doivent décider ensemble quelles actions réaliser. La négociation est extrêmement interactive parce qu’elle requiert que les joueurs se parlent les uns aux autres. Les jeux qui proposent la négociation de façon proéminente incluent les Colons de Catane de même que de nombreux jeux coopératifs comme Pandémie.

La négociation est une bonne façon d’amener les joueurs à interagir les uns avec les autres, mais c’est très consommateur de temps, alors cela fonctionne souvent mieux comme forme centrale d’interaction plutôt qu’un rôle de soutien. De plus, la négociation peut faire que les joueurs sentent qu’ils ont trop peu de pouvoir, comme les autres joueurs refusent de travailler avec eux.

Réactions.  Dans mon article sur les Actions, j’ai parlé des réactions, ou la capacité aux joueurs à répondre aux décisions des autres joueurs avant que ces décisions aient de l’effet. Les jeux qui contiennent de la façon proéminente les réactions incluent Magic (à travers les Instantanés, et les célèbres contre-sorts) et des jeux « prends-ça » comme Munchkin. Les réactions sont fortement interactives parce qu’elles donnent aux joueurs la capacité à réaliser des actions entremêlées avec celles des autres joueurs, et les forcer à faire attention aux actions des autres joueurs pour s’assurer qu’ils ne manquent pas une opportunité.

Dans mon précédent article, j’avais dédaigné les réactions comme compliquées et maladroites. Je sais que c’est une position controversée, mais je m’y tiens. Bien que je sais qu’il y a des jeux où les réactions sont appropriées, je sens qu’elles sont sur-utilisées et leurs désavantages ne sont pas respectés par la plupart des designers. De nombreux designers justifient l’utilisation des réactions en disant qu’elles sont interactives. J’espère que cet article montre qu’il y a de nombreuses alternatives aux réactions pour rendre un jeu interactif.

Présenter des puzzles.  Par exemple, les joueurs peuvent se présenter des puzzles les uns les autres ! C’est une forme très commune mais souvent sous-appréciée d’interaction, où les actions d’un joueur créent le contexte pour les décision du joueur suivant (ainsi le blocage est de fait une forme de présentation de puzzle). Magic utilise cette forme d’interaction quand les joueurs décident avec quelle créature attaquer, en forçant l’autre joueur à décider comment bloquer. Hearthstone, un jeu très similaire à Magic, abandonne entièrement les réactions de manière à se amener les joueurs à se présenter de puzzles les uns aux autres. De nombreux designers incluent la présentation de puzzle dans leurs jeux sans le réaliser, mais être conscient de cette forme d’interaction pourrait vous aider à l’incorporer de façon plus intentionnelle.

Communication.  De nombreux jeux incluent la communication d’information (ou la rétention d’information) comme forme centrale d’interaction. De nombreux party games, depuis le Pictionnary jusqu’à Codenames, sont tous centrés sur la communication avec des limitations. Hanabi, un jeu coopératif populaire, élimine la négociation en faveur de la concentration sur la communication. Et de nombreux jeux compétitifs, comme Netrunner, contiennent de l’information cachée et le bluff comme interaction cœur.

Cards Against Humanity fait discuter les joueurs même après la partie, ce qui contribue à son succès. Image tirée du Wall Street Journal.

Interaction Sociale.  Ne sous-estimez pas les interactions qui peuvent arriver entre les joueurs en dehors de la partie ! Beaucoup de l’attrait de nombreux party games est la façon dont ils agissent comme lubrifiants sociaux, en forçant les gens à se parler et amener des sujets de conversation. Le succès incroyable de Cards Against Humanity en particulier est largement dû à sa capacité impressionnante à amener les gens à rire et à parler (même si c’est simplement sur le fait que CAH soit répugnant.)

Cela peut paraître être principalement le domaine des party games, mais les jeux de stratégie peuvent bénéficier des interactions sociales aussi. Mon premier jeu, Corporate America, fait son possible pour à engager les gens dans des discussions politiques, et les aide avec beaucoup d’humour et des mécaniques qui les encouragent à commencer à discuter. Le thème, en particulier les thèmes inhabituels ou les IP populaires ; des mécaniques étranges ; les stratégie et les combos peuvent toutes inspirer des discussions en dehors du jeu actuel qui peut renforcer les liens et laisser vos joueurs avec des sentiments agréables reliés à leur expérience de jeu.

INTERACTIONS IMPORTANTES

Les interactions entre les joueurs peuvent ne pas être nécessaires pour les jeux, mais elles sont l’un des plus grands avantages que les jeux de plateau ont sur les jeux numériques. Pour de nombreux joueurs, les jeux sont la façon préférée de partager une expérience sociale avec des amis. Bien que chaque jeu ait une quantité idéale d’interaction, je recommande généralement de vous vous aventuriez dans la direction de plus d’interaction. Si votre jeu aide vos joueurs à se connaître les uns les autres et devenir amis, il deviendra un bon souvenir même quand il n’est pas joué.

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2 réflexions sur « Eléments des jeux : Interaction »

  1. Bonjour,

    Je vous remercie pour vos nombreuse traduction d’articles. Je note néanmoins qu’au premier paragraphe, première phrase de la section type d’interactions il y a une coquille  » _dans_ les jeux ».

     » J’aimerai terminer cet article en discutant certains des types d’interaction que vous pourriez rencontrer dan les jeux, ou prendre en considération pour les vôtres.

    Bonne soirée

    • Bonsoir Matthieu et merci de votre appréciation !
      La coquille a été corrigée 🙂

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